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Article publié dans la revue LAVE N°216
Décrypter l’histoire du volcanisme en Équateur
Mathilde BABLON
[ Concentrant depuis ~3 millions d’années le plus grand nombre de volcans d’Amérique du Sud, les Andes équatoriennes nous plongent au coeur d’une région fascinante, aussi bien pour les amateurs de paysages verdoyants, d’une biodiversité unique, de la culture andine et des plus hauts sommets du monde, que pour les scientifiques de tous horizons désireux de percer les secrets de cette horlogerie géologique. Poursuivant les travaux exploratoires pionniers initiés dès le XVIIIème siècle par La Condamine, Bouguer, Godin, Jussieu, et von Humboldt, les recherches actuelles visent, entre autres, à connaître l’histoire éruptive passée des édifices et à surveiller les activités volcaniques actuelles, afin de mieux évaluer les risques pour les populations. Cet article présente une synthèse des connaissances de l’arc volcanique équatorien et des recherches en cours, que je mène en collaboration étroite avec Xavier Quidelleur (GEOPS, Paris-Saclay), Pablo Samaniego et François Nauret (LMV, Clermont-Ferrand), Jean-Luc Le Pennec (Geo-Ocean, Brest), François Michaud et Marianne Saillard (Géoazur, Nice), Santiago Santamaría (Yachay Tech Univ., Équateur), et Silvana Hidalgo (Instituto Geofisico-EPN, Équateur). ]
Un pays à la géographie variée

Figure 1.
Schéma de la zone de subduction au Nord des Andes. Au Sud de l’Équateur, l’angle de plongement de la plaque Nazca n’est pas suffisant pour permettre la fusion du manteau, et le volcanisme est par conséquent absent en surface.
© image satellite : Google Earth
L’Équateur, d’une superficie deux fois inférieure à celle de la France, est un petit pays d’Amérique du Sud qui partage ses frontières avec la Colombie au Nord et le Pérou au Sud, et qui est bordé par l’océan Pacifique à l’Ouest (figure 1). Les plaques tectoniques Nazca et Antarctique, constituant les lithosphères océaniques de l’Est Pacifique, plongent sous le continent sud-américain. Cette subduction, active depuis plus d’une centaine de millions d’années, est à l’origine de la formation de la cordillère des Andes, qui s’étend du Venezuela jusqu’au Sud de la Patagonie. En Équateur, le relief élevé de la cordillère (Sierra) se distingue de la Costa, région côtière où se concentrent les ports de commerce maritimes, et de l’Oriente, extrémité nord-occidentale du bassin Amazonien. Dans la moitié Nord du pays, la cordillère se divise, formant deux chaînes séparées par une dépression géographique Nord-Sud : la vallée interandine.
L’arc volcanique équatorien
C’est dans cette région que l’on trouve « l’avenue des volcans » si chère à von Humboldt. En effet, plus de 80 édifices volcaniques se sont construits depuis le début du Quaternaire (points orange sur la carte de la figure 1), et une vingtaine d’entre eux sont actuellement considérés comme actifs ou potentiellement actifs. Si la dernière activité du Chimborazo (figure 2), sans doute le volcan le plus connu du fait que son sommet soit le point de la surface le plus éloigné du centre de la Terre, remonte à environ 900 ans [Samaniego et al., 2012], d’autres édifices sont entrés plus récemment en éruption, comme le Pichincha (1999-2000), qui surplombe la capitale Quito, le Tungurahua (1999-2016), le Cotopaxi (2015 et 2022-2023), ou encore le Reventador et le Sangay, en éruption en 2024, et ce depuis 2002 et le XVIIème siècle, respectivement. La surveillance de ces volcans est assurée par l’Institut de Géophysique de Quito (www.igepn.edu.ec), également en charge de surveiller l’activité tectonique régionale, d’informer les populations et de communiquer avec les autorités locales [Hidalgo et al., 2024].
Le magma de l’arc équatorien tire son origine de l’interface de subduction. Au fur et à mesure de son plongement, la plaque Nazca se déshydrate, libérant des fluides qui permettent au manteau de la plaque sud-américaine de fondre partiellement (figure 1). Ce magma remonte alors vers la surface. Riche en gaz et généralement visqueux, il peut générer des éruptions explosives, éjectant de grands volumes de gaz et de cendres dans l’atmosphère sous forme de panaches, parfois accompagnés de nuées ardentes sur les flancs des volcans.

Figure 2. Carte des volcans de l’arc équatorien.
© photos : IG-EPN, P. Samaniego et X. Quidelleur
La composition des magmas équatoriens
Tirant leur nom de la cordillère des Andes, la majorité des magmas de l’arc équatorien sont des andésites. Toutefois, on trouve également des laves moins différenciées comme les basaltes et les andésites basaltiques, mais également des roches plus différenciées comme les rhyolites, associées aux éruptions les plus explosives. Les magmas appartiennent à la série calco-alcaline typique des zones de subduction, à l’exception des édifices situés en arrière-arc qui sont plus riches en alcalins et appartiennent à la série shoshonitique (figure 3).
Par ailleurs, les magmas de l’arc sont caractérisés par une augmentation de la teneur en éléments chimiques incompatibles (comme le K, Ba, Nb, Rb, Th, Y et les terres rares) entre le front volcanique et l’arrière-arc [Hidalgo et al., 2012]. En effet, la quantité de fluides libérés par la plaque Nazca diminue au fur et à mesure de son plongement, entraînant une diminution du taux de fusion partielle du coin de manteau, et des magmas qui sont par conséquent enrichis en éléments incompatibles pour les volcans les plus éloignés de la zone de subduction.
Les magmas de l’arc équatorien présentent également des hétérogénéités de composition isotopique (rapports 87Sr/86Sr, 143Nd/144Nd, et 206Pb/204Pb par exemple). Ces variations s’expliquent par des assimilations hétérogènes de l’encaissant lors de la remontée des magmas, par une composition hétérogène du coin de manteau, ou encore de celle des fluides libérés par la plaque plongeante [Ancellin et al., 2017].

Figure 3. Diagramme des teneurs en K2O en fonction de SiO2 des magmas de l’arc équatorien (base de données de Georoc : https://georoc.eu).
Connaître l’histoire passée des volcans
Pour anticiper les futures éruptions, évaluer les risques associés à chaque édifice et comprendre l’évolution spatiale et temporelle du volcanisme nord-andin, il est nécessaire de connaître l’activité passée des volcans. La recherche qui a été menée en Équateur ces trois dernières décennies s’est donc concentrée sur la cartographie des différentes unités des édifices, sur la datation des produits volcaniques, et sur leur analyse chimique pour étudier la genèse de l’évolution des magmas.
Pour cartographier les unités, nous analysons les images satellites, la morphologie du volcan à partir de modèles numériques de terrain (MNT), et les principales structures observées lors de campagnes sur le terrain. Ces unités peuvent correspondre à plusieurs phases d’activité, et sont parfois séparées par des effondrements sectoriels qui ont affecté les flancs du volcan.
La datation des produits (ponces, laves...) permet de savoir quand ils ont été émis, et permet donc de déterminer l’âge des différentes unités du volcan, et ses périodes d’activité.
Le carbone 14
Les éruptions les plus récentes sont généralement datées par la méthode 14C, appliquée sur des charbons de bois carbonisés retrouvés dans les produits de l’éruption. Après sa mort, l’échantillon de charbon perd par radioactivité la moitié du 14C présent tous les 5 730 ans (ce qui correspond à la période radioactive, ou demi-vie). En mesurant le rapport 14C/Ctotal avec un spectromètre de masse, il est donc possible d’en déduire l’âge de l’éruption. Cette méthode, principalement utilisée en archéologie, est idéale pour déterminer l’âge des éruptions majeures récentes à quelques dizaines d’années près, mais ne s’applique que sur les derniers ~50 000 ans, la quantité de 14C présent dans les échantillons plus anciens devenant trop faible pour être mesurée précisément.
Le potassium-argon (K-Ar)
Pour les produits plus anciens, nous utilisons le 40Ar/39Ar, ou encore le potassium-argon (K-Ar), qui est une technique particulièrement bien adaptée aux laves calco-alcalines des Andes (figure 4). Le 40K, présent naturellement dans la composition du verre volcanique et dans certains minéraux, se désintègre en 40Ar au cours du temps. Cet argon, sous forme gazeuse, est dit « radiogénique ». En mesurant la teneur en K de l’échantillon, à partir de laquelle on déduit la quantité de 40K, grâce à un spectromètre de flamme, et la quantité de 40Ar grâce à un spectromètre de masse, il est alors possible de déterminer l’âge de l’échantillon. Cependant, les minéraux présents dans les magmas peuvent cristalliser dans la chambre magmatique bien avant l’éruption. Ils contiennent alors de l’argon radiogénique hérité, qui peut ne pas dégazer entièrement avant l’éruption, et biaiser l’âge obtenu. Au contraire, le verre volcanique cristallise lors de l’émission du magma en surface, et l’âge obtenu correspondra alors à l’âge de l’éruption. La demi-vie du 40K étant de 1,25 milliards d’années, cette méthode de datation peut être aussi bien appliquée sur des laves jeunes, de quelques milliers d’années, que sur des laves anciennes, de plusieurs centaines de millions d’années.

Figure 4. Étapes nécessaires à la datation d’une coulée de lave par la méthode K-Ar : échantillonnage sur le terrain (en sélectionnant le coeur, ou du moins les parties les moins altérées possibles, des laves), préparation des échantillons au laboratoire (lames minces pour visualiser la composition de la lave, broyage et tri par liqueur dense pour séparer les grains altérés et les minéraux du verre volcanique qui sera ensuite daté), et mise en pilulier pour les mesures de potassium et d’argon.
Le développement de l’arc équatorien
L’ensemble des datations réalisées sur les produits volcaniques de l’arc équatorien constitue aujourd’hui une base de données qui compte plus de 250 âges, et qui nous a permis de déterminer les périodes d’activité d’une majorité des édifices volcaniques. Ces données montrent que l’arc s’est construit et développé en trois grandes étapes [Santamaría et al., 2024].
Les trois grandes étapes de la construction de l’arc équatorien
Les plus anciens produits de l’arc identifiés dans la cordillère andine ont été émis à la fin du Pliocène, il y a environ 2,7 millions d’années. Ces dépôts sont associés à l’activité explosive et rhyolitique de la caldera de Chacana (figure 2) à l’Est de l’actuelle Quito, et à des émissions de laves effusives basaltiques dans l’arrière-arc.
Les premiers stratovolcans andésitiques commencent à se construire à partir de ~1,4 millions d’années, toujours dans la région de Quito, puis l’arc s’étend progressivement vers le Nord et vers le Sud à partir de 800 000 ans.
L’activité volcanique s’intensifie significativement de 600 000 ans à nos jours, avec au moins 50 volcans actifs au cours de cette période. L’origine de ce nombre exceptionnel de volcans, supérieur aux autres régions volcaniques d’Amérique du Sud, est débattue et actuellement étudiée. En particulier, le développement de l’arc semble contemporain de changements dans la géométrie de la plaque Nazca en profondeur, et de la subduction de la ride de Carnegie (figure 1), qui est un haut bathymétrique basaltique porté par la plaque Nazca lors de son passage au-dessus du point chaud des Galápagos, et qui pourraient favoriser la genèse de magmas. L’arc est également contemporain du développement de failles crustales majeures, qui accommodent les déformations tectoniques régionales et s’étendent du golfe de Guayaquil, au Sud de l’Équateur, aux côtes caribéennes du Venezuela. L’activité tectonique associée à ces failles et les fracturations de la croûte continentale pourraient faciliter la remontée des magmas et provoquer des déstabilisations de flancs.
L’éruption du Chalupas
Une des éruptions les plus puissantes de l’arc nord andin est celle du Chalupas, qui a eu lieu il y a 216±5 ka[Bablon et al., 2020]. L’ignimbrite associée à cet évènement, d’un volume dépassant les 200 km3, ainsi que les cendres identifiées à plus de 1 000 km du centre éruptif, témoignent de la puissance de cette éruption (figure 5). Son Indice d’Explosivité Volcanique (VEI) est estimé à 7, un ordre de grandeur similaire à l’éruption de Santorin en ~1600 avant J.-C. qui a eu des conséquences notables pour les populations de l’époque, notamment sur la civilisation minoenne, ou encore similaire à l’éruption de 1815 du Tambora, qui avait provoqué des perturbations climatiques mondiales avec des effets dévastateurs sur la biodiversité et les communautés humaines. En Équateur, l’éruption du Chalupas s’est produite bien avant les premières occupations humaines connues du continent américain, mais la caldera de plus de 15 km de diamètre, qui résulte de la vidange de la chambre magmatique, témoigne de la grandeur de cette éruption qui a probablement eu un impact sur la faune et la flore régionales et le climat global.

Figure 5. L’ignimbrite associée à l’éruption de ~216ka du Chalupas. La photo du haut correspond à une carrière située à 50 km de la caldera, qui a mis à l’affleurement l’ignimbrite sur plus de 30 m d’épaisseur. La seconde photo met en évidence les ponces rhyolitiques, parfois de plusieurs dizaines de centimètres, qui constituent l’ignimbrite et qui ont permis sa datation.
© photos : M.Bablon et X. Quidelleur
Les produits volcaniques déposés en mer : une archive parfois unique pour étudier l’histoire passée d’un arc
Les plus anciens produits de l’arc ont été émis il y a environ 2,5 millions d’années, mais il n’est pas exclu qu’une activité volcanique plus ancienne ait existé dans la moitié Nord de l’Équateur. En effet, ces dépôts anciens peuvent avoir été érodés, ou bien recouverts par les nombreux dépôts plus récents.
Lors d’éruptions explosives majeures, les cendres volcaniques peuvent parcourir des centaines de kilomètres dans l’atmosphère avant de retomber. En Équateur, les vents dominants étant les alizés, soufflant d’Est en Ouest, les cendres sont majoritairement transportées vers l’Ouest, en direction de l’océan Pacifique (figure 1). Une fois sédimentées au fond de la mer, ces cendres sont recouvertes par des sédiments marins (matériel continental apporté par le vent ou les fleuves, ou débris organiques provenant de l’activité biologique marine) qui limitent leur remobilisation par la faune et les courants marins. Les séquences sédimentaires marines constituent un enregistrement parfois unique des éruptions volcaniques majeures d’une région (figure 6).
Afin de collecter ces archives précieuses, il est nécessaire de réaliser des forages ou carottage des sédiments marins, parfois situés à plusieurs milliers de mètres de profondeur. Des campagnes océanographiques sont régulièrement réalisées dans tous les océans du globe par différents organismes dont l’IODP (Integrated Ocean Drilling Program). Ce programme international permet de réaliser des forages de plusieurs centaines de mètres de profondeur, et met à disposition de tous les chercheurs le matériel échantillonné (www.iodp.org). Les navires de la flotte océanographique française (www.flotteoceanographique.fr) permettent également de réaliser des carottages sédimentaires d’une dizaine de mètres de profondeur (figure 7).

Figure 6. À droite : exemple de niveaux de cendres identifiés dans les sédiments marins du Pacifique.
À gauche : exemples de différentes morphologies de verre volcanique constituant les niveaux de cendres, observées au Microscope Électronique à Balayage (MEB).

Figure 7. En haut : le « Pourquoi Pas ? », navire océanographique français lors de la campagne SUPER-MOUV menée en janvier-février 2024 au large de l’Équateur et de la Colombie.
En bas : mise en place du carottier et photo d’un fou à pieds bleus, oiseau emblématique des Galápagos, et compagnon éphémère de notre odyssée.
© photos : F. Michaud et M. Bablon
Résultat des campagnes IODP
Au large de l’Équateur, trois campagnes IODP menées en 1979, 1986 et 2002 ont mis en évidence la présence de nombreux niveaux de cendres volcaniques intercalés dans les sédiments marins (figure 6).
Les modèles d’âge des sédiments marins sont basés sur la biostratigraphie (âge et position stratigraphique des espèces fossiles), la magnétostratigraphie (enregistrement par des minéraux magnétiques de la polarité du champ magnétique terrestre lors de leur dépôt), les variations du δ18O des coquilles carbonatées (basé sur le rapport 16O/18O constituant les coquilles fossiles, qui varie selon les périodes glaciaires ou interglaciaires dont l’âge est déduit des paramètres orbitaux terrestres), ou encore en corrélant des dépôts avec leurs homologues du même âge, identifiés et datés sur le continent.
Nous pouvons en déduire que les plus anciennes cendres identifiées se sont déposées au Miocène, il y a plus de 10 millions d’années ! L’étude de ces niveaux de cendres est actuellement en cours, mais nous avons pu déjà mettre en évidence vingt-sept niveaux déposés entre 4,8 Ma et 190 ka, provenant de l’arc équatorien-colombien, deux niveaux déposés à 4,5 et 8,9 Ma provenant de l’arc péruvien, bien plus au Sud, qui montrent l’influence des courants marins sur la dispersion des dépôts, ainsi que cinq niveaux déposés entre 10,1 et 1,4 Ma, provenant du point chaud des Galápagos. Ces dépôts vont nous permettre d’étudier l’évolution des magmas sur une période de temps inédite.
Résultat des carottages sédimentaires peu profonds
Plus proches du continent, trois campagnes océanographiques menées en 2005, 2012 et 2024 ont également mis en évidence des niveaux de cendres dans des carottes sédimentaires de quelques mètres de profondeur [Bablon et al., 2022]. Les sédiments s’étant déposés au cours des derniers 15 000 ans, ces enregistrements sont associés à des éruptions beaucoup plus récentes que celles des sédiments profonds collectés par les missions IODP. Identifier le(s) volcan(s) à l’origine de ces éruptions, déterminer précisément leur âge et cartographier l’étendue de chacun des dépôts sont essentiels pour préciser le catalogue des éruptions récentes et identifier les édifices susceptibles d’être de nouveau affectés par des éruptions destructrices.
Comment identifier le volcan à l’origine de cendres anciennes qui ont été transportées
sur plusieurs centaines de kilomètres ?
Identifier le volcan à l’origine de l’émission de téphras déposés sur de grandes distances (dans des zones dites « distales ») est parfois complexe, notamment en Équateur où de nombreux édifices sont de potentiels candidats.
Si l’histoire éruptive régionale est suffisamment connue, l’âge des téphras distaux, déposés à terre ou en mer, permet de discriminer un ou plusieurs édifices qui étaient actifs à cette période. L’étude du matériel proximal déposé sur les flancs d’un des volcans, et pouvant mettre en évidence qu’une éruption de grande ampleur et du même âge s’est produite, permet alors de rendre la corrélation robuste.
La composition minéralogique et chimique des magmas donne également des indications sur l’origine des cendres. Par exemple, des teneurs basses en alcalins (K2O) et en éléments traces tels que le Rb, le Ba ou le Th, indiquent qu’elles proviennent d’un édifice situé au niveau du front volcanique de l’arc andin (figure 3). Si le magma est très enrichi en Nb et en terres rares lourdes (comme l’Eu ou l’Yb), il ne provient pas d’un volcanisme d’arc, mais de point chaud, ce qui est possible dans le cas de l’Équateur avec la proximité de l’archipel des Galápagos.
La comparaison entre la teneur en éléments majeurs et trace des produits proximaux et distaux donnera des indications sur sa provenance, mais ne permet pas d’identifier clairement l’édifice source, d’autant que la composition des laves peut varier d’une éruption à l’autre. Corréler les dépôts volcaniques et identifier le volcan qui les a émis est comme un jeu où on est l’enquêteur. Les éléments majeurs des magmas nous permettent de déterminer de quelle zone géographique ils proviennent, la « ville où vit le suspect ». Les éléments traces aident l’enquêteur en restreignant la liste de volcans potentiels, comme si on déterminait « la famille du suspect ». L’enquêteur a alors besoin d’une empreinte digitale pour identifier formellement le suspect. Dans notre cas, cette empreinte correspond aux teneurs isotopiques d’un magma.

Figure 8. En haut : l’éruption du Tungurahua en mars 2016. Les particules grossières et denses retombent rapidement, tandis que les particules légères et fines sont transportées sur de longues distances.
En bas : fleurs dans le paysage couvert de cendres sur le flanc Sud du Tungurahua.
© photos : M. Bablon et X. Quidelleur

Figure 9. Photo du Cotopaxi, et de cendres échantillonnées sur son flanc Nord, à 4 165 m d’altitude. Les analyses isotopiques des produits du Cotopaxi sont reportées dans le graphique, par des ronds pour les échantillons proximaux, et des étoiles pour les cendres distales, enregistrées dans les sédiments marins. Le coefficient de détermination R2 proche de 1 signifie que les points s’alignent presque parfaitement sur la droite représentée en bleu.
© photos : F. Nauret
L’apport des valeurs isotopiques
En effet, chaque volcan possède une gamme de valeurs isotopiques qui lui est propre, notamment en Sr, Pb, et Nd. En comparant les données de teneurs en éléments majeurs, traces, et les rapports isotopiques des dépôts proximaux et distaux, il serait donc possible de déterminer l’édifice à l’origine de ces dépôts. Il reste cependant un problème : les analyses géochimiques sont généralement réalisées, notamment pour les laves, en réduisant en poudre l’entièreté d’un échantillon – on parle alors de roche totale – comprenant le verre volcanique et les minéraux. Lors d’une éruption explosive, les particules injectées dans l’atmosphère vont retomber plus ou moins loin selon leur taille et leur densité. En particulier, les minéraux lourds comme les olivines, les pyroxènes ou les oxydes de fer sont transportés sur des distances plus faibles que les plagioclases et les particules fines de verre (figure 8).
Par conséquent, la teneur en minéraux d’un niveau de cendres distales peut être différente de celle des cendres de la même éruption déposées à proximité du centre éruptif. Ce fractionnement minéralogique, qui se produit dans l’atmosphère, a également pour conséquence de modifier les rapports isotopiques des cendres analysées en roche totale, empêchant de corréler les dépôts distaux et proximaux par comparaison de leur composition. Nous avons donc développé une nouvelle méthode qui s’affranchit de ces problèmes de fractionnement [Bablon et al., 2023].
Les isotopes sont généralement mesurés et présentés sous la forme d’un rapport, comparant un isotope radioactif à un isotope stable (87Sr/86Sr pour le Sr ; 206Pb/204Pb, 207Pb/204Pb et 208Pb/204Pb pour le Pb ; 143Nd/144Nd pour le Nd). En utilisant des échantillons émis par le volcan Cotopaxi, nous avons observé que leurs rapports 207Pb et 208Pb normalisés au 206Pb (et non pas au 204Pb stable) étaient corrélés, c’est-à-dire que dans un graphique 207Pb/206Pb en fonction de 208Pb/206Pb les points des analyses s’alignent sur une droite (figure 9).
Cet alignement ne dépend pas de la nature du matériel échantillonné, puisque nous avons analysé des laves andésitiques et dacitiques et des cendres rhyolitiques, ni de leur âge. Par ailleurs, en analysant les composants d’une même roche, les rapports de Pb des cristaux, du verre et de la roche totale s’alignent également sur cette droite. En faisant ce travail sur l’ensemble des volcans de l’arc, nous avons mis en évidence que chaque volcan a une ligne isotopique qui lui est propre (figure 10), une sorte « d’empreinte digitale ». Pour confirmer la provenance d’une cendre distale, il est alors possible de reporter leur analyse de Pb sur le graphique, et vérifier qu’elle appartient bien au volcan ciblé (figure 9). Cette méthode n’a jusqu’à présent été utilisée qu’en Équateur, mais pourrait devenir un outil essentiel dans les années à venir pour les études en téphrochronologie dans des régions où de nombreux volcans sont actifs, comme en Indonésie ou au Japon.

Figure 10. Lignes isotopiques des volcans de l’arc équatorien. L’équation de chaque ligne est unique pour chaque volcan, et ne dépend ni du matériel analysé (cristaux, verre, roche totale...) ni de son âge. Elles peuvent donc s’avérer essentielles pour identifier la source volcanique de cendres transportées sur de longues distances.
La volcanologie à l’interface de multiples thématiques scientifiques
Lors d’éruptions majeures, les cendres volcaniques se déposent sur des surfaces considérables et constituent des repères stratigraphiques, à l’image de l’ignimbrite du Chalupas mentionnée précédemment (figure 5). Déterminer leur âge peut s’avérer essentiel pour les travaux qui étudient cette région dans d’autres domaines que la volcanologie. Par exemple, en étudiant la composition des coquilles fossiles préservées dans les sédiments du Pacifique, les climatologues reconstituent l’évolution long-terme de la température de la mer, mettant en évidence les stades glaciaires et interglaciaires reconnus mondialement [Ninkovitch et Shackleton, 1975]. Les niveaux de cendres permettent d’apporter des contraintes temporelles locales à ces variations paléoclimatiques.
Sur le continent, des vestiges archéologiques, comme des céramiques ou des constructions monticulaires, permettent d’étudier la culture et la répartition géographique des populations précolombiennes [Hall et Mothes, 2008 ; Guillaume- Gentil, 2008 ; Le Pennec et al., 2013]. Les cendres permettent de dater ces vestiges et d’investiguer l’impact qu’ont pu avoir les éruptions passées sur ces civilisations. Enfin, les dépôts volcaniques peuvent être utilisés pour étudier l’activité tectonique passée.
Dans la cordillère équatorienne, de nombreuses failles majeures accommodent la déformation liée à la convergence des plaques Nazca et Sud-Américaine, créant des décalages des dépôts de la vallée interandine (figure 11). Nous avons une bonne connaissance des séismes récents grâce aux instrumentations et récits historiques par le biais de catalogues de sismicité, mais pour les séismes plus anciens, il est nécessaire de déterminer l’histoire tectonique passée par d’autres méthodes que la sismologie, comme la paléosismologie ou la géomorphologie. Les niveaux volcaniques peuvent aider à déterminer l’âge des structures, comprendre leur origine et décrypter l’évolution régionale des déformations. Dans la région côtière d’Équateur, la déformation s’exprime également par la présence de terrasses marines soulevées, parfois perchées à plusieurs centaines de mètres au-dessus du niveau de la mer actuel (figure 11). L’étude de ces marqueurs morpho-tectoniques long-termes, notamment leurs liens avec les grands séismes passés et les zones sismogéniques de l’interface de subduction, est en cours (https://anr.fr/Projet-ANR-18- CE31-0022, PI M. Saillard). Les niveaux de cendres présents sur ces terrasses marines pourraient aider à quantifier le soulèvement côtier et comprendre son origine, ce qui est crucial pour améliorer l’estimation de l’aléa sismique dans cette région peuplée et régulièrement soumise à de grands séismes destructeurs. Lors de ces séismes, des portions de la pente sous-marine se déstabilisent, créant des avalanches de sédiments sous-marins, qui forment des dépôts que l’on appelle turbidites. Les recherches de ces prochaines années porteront également sur l’étude et la datation de ces turbidites, collectées grâce aux carottages (figure 7). Parfois intercalées avec des niveaux de cendres volcaniques qui apportent des calages temporels, ces turbidites constituent des archives précieuses des séismes passés qui ont affecté la côte équatorienne.
Malgré toutes ces avancées scientifiques, les volcans équatoriens sont loin d’avoir livré tous leurs secrets. On entendra encore longtemps des coups de marteau résonner dans la vallée interandine, des groupes de géologues observer les paysages pour tenter d’interpréter les évènements qui s’y sont déroulés, ou installer des instruments de surveillance pour écouter le ronflement de la Terre. Témoins de cette Histoire depuis des centaines de milliers d’années, les volcans équatoriens sauront chuchoter leurs souvenirs aux oreilles affinées des chercheurs, volcanologues passionnés ou randonneurs amoureux de la nature pour de nombreuses générations à venir (figure 12).

Figure 11.
En haut à gauche : dépôts de ponces et de lahars cisaillés par une faille dans la région de Quito.
En haut à droite : dépôts volcaniques faillés en contact discordants avec les niveaux de cendres superficiels, dans la région de Quito.
En bas : plusieurs niveaux de terrasses marines soulevées, sur la péninsule de Santa Elena (Bulois et al., 2023)
© photos : A. Alvarado, M. Saillard

Figure 12. Quelques photos de paysages équatoriens : la caldera du Quilotoa, l’Imbabura et le lac San Pablo, une vigogne sur les flancs du Carihuairazo, la végétation luxuriante du Tungurahua.
© photos : M. Bablon, P. Samaniego, X. Quidelleur
Références bibliographiques
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— Bablon, M., Nauret, F., Saillard, M., Samaniego, P., Vlastélic, I., Hidalgo, S., Le Pennec, J.-L., Ratzov, G., Michaud, F., Mothes, P., Liorzou, C., Gannoun, A., 2023. An innovative isotopic method to identify the volcanic source of distal tephra. Earth and Planetary Science Letters 619, 118283. https://doi.org/10.1016/j.epsl.2023.118283
— Bablon, M., Quidelleur, X., Siani, G., Samaniego, P., Le Pennec, J.-L., Nouet, J., Liorzou, C., Santamaría, S., Hidalgo, S., 2020. Glass shard K-Ar dating of the Chalupas caldera major eruption: Main Pleistocene stratigraphic marker of the Ecuadorian volcanic arc. Quaternary Geochronology 57, 101053. https://doi.org/10.1016/j.quageo.2020.101053
— Bablon, M., Ratzov, G., Nauret, F., Samaniego, P., Michaud, F., Saillard, M., Proust, J., Le Pennec, J., Collot, J., Devidal, J., Orange, F., Liorzou, C., Migeon, S., Vallejo, S., Hidalgo, S., Mothes, P., Gonzalez, M., 2022. Holocene Marine Tephra Offshore Ecuador and Southern Colombia: First Trench-to-Arc Correlations and Implication for Magnitude of Major Eruptions. Geochemistry, Geophysics, Geosystems 23. https://doi.org/10.1029/2022GC01046
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